Hip-hop et DJing

« Hip-hop et DJing : une pratique musicale technique dans « l’arène sociale » » :

L’article est extrait de « Sonorités Hip Hop ». Le DJing hip-hop est comme une pratique musicale à la fois technique et technologique, souvent occultée dans les analyses culturelles et sociales de ce mouvement. Il propose une approche sociologique et anthropologique des techniques pour en comprendre les modes de production.

L’apprentissage du mix chez le DJ hip-hop La plupart des DJs rencontrés pour cette étude n’avaient pas de formation musicale préalable et ont dû créer leur propre stratégie d’apprentissage. Cet apprentissage se divise en deux volets :

  • Appropriation musicale : Le DJ doit apprendre à écouter ses disques, à décomposer la structure rythmique des morceaux « à l’oreille » en se concentrant sur les grosses caisses et les caisses claires. Il doit savoir reconnaître le tempo et compter les mesures (en général par groupes de quatre, avec les 1ers et 3e temps comme grosses caisses et les 2e et 4e comme caisses claires). L’engagement physique, comme compter à voix haute ou marquer les temps avec le pied, aide à optimiser le calage.
  • Appropriation technique : Elle passe par une phase de « bidouillage », c’est-à-dire la découverte physique du matériel (platines et table de mixage) guidée par la curiosité et l’expérimentation. Le DJ doit maîtriser l’utilisation et le fonctionnement de ces machines.

L’équipement : De simples outils de diffusion à de véritables instruments L’histoire du hip-hop est intrinsèquement liée à la ré-appropriation des platines vinyles et de la table de mixage.

  • Les platines vinyles : Initialement des appareils de diffusion sonore, elles ont été transformées en outils de re-création musicale par l’usage que les DJs en faisaient. La platine Technics MK2 est devenue mythique et symbolise l’essence même du hip-hop grâce à son potentiel technique.
  • La table de mixage (mixette) : Souvent reléguée au second plan, elle est la pierre angulaire de la configuration matérielle du DJ hip-hop. Elle agit comme un médiateur entre le matériau sonore (les vinyles), le support de diffusion (les platines) et le produit sonore diffusé. Par l’usage, notamment la manipulation des potentiomètres et des faders (comme le crossfader), elle permet de moduler les textures sonores et d’hybrider les sons, ce qui lui confère le statut d’instrument de création musicale.
  • La configuration de base est généralement composée de deux platines tourne-disques et d’une table de mixage. Les principaux éléments d’interaction sont le bouton Start/Stop, le bras et le pitch de la platine, et sur la table de mixage, le crossfader horizontal et les faders verticaux de volume, ainsi que les potards d’effets.

L’art du scratch et le turntablism Le DJing hip-hop se caractérise par des gestes techniques spécifiques et la ré-appropriation des fonctions des machines, que l’auteur qualifie d’« extension » plutôt que de « détournement ». Les DJs ont « bricolé » le matériel pour le transcender.

  • Le Turntablism : C’est une branche purement instrumentale du rap. Les turntablists produisent de la musique à partir de la seule manipulation des disques et des platines, en utilisant des mouvements imprimés au vinyle (accélération, ralentissement, scratching, backspinning) et des interventions sur la table de mixage (transitions, enchaînements, ruptures temporelles, montage cut, séquencement des sons par l’effet combiné du crossfader et de la main sur le disque).
  • Le Scratch : Son invention est attribuée à Grand Wizard Theodore, né d’un incident technique. Il consiste à produire de nouveaux sons et rythmes en frottant le saphir sur le vinyle et en effectuant des mouvements de va-et-vient avec la main, tout en utilisant le crossfader comme un commutateur pour créer des « coupes » rythmiques.
  • Les « Battles » de DJing : Ces compétitions sont des « arènes des habiletés techniques » où les DJs s’affrontent sur l’originalité, la technique et la qualité de leur programmation. Les critères de notation incluent :
    • L’habileté technique : La rapidité, la précision, l’aspect novateur et l’inventivité gestuelle des scratchs sont primordiaux.
    • La musicalité : Malgré le bruit que le scratch peut sembler produire pour une oreille non avertie, les « initiés » y entendent une musicalité. Le talent du DJ se mesure à sa capacité à créer des scratchs mélodieux, des sons improbables, des « dialogues » ou à recréer des rythmiques.
  • La virtuosité du turntablist : Elle est liée à sa maîtrise technique, son accomplissement et son inventivité dans les gestes techniques, ainsi qu’à la musicalité de sa prestation. Le turntablist est à la fois un exécutant technique et un « chef d’orchestre des sons ». Sa performance est aussi visuelle, les mouvements des mains étant essentiels et parfois filmés pour le public.

Conclusion Le DJing hip-hop est une pratique où la technique et la musicalité s’entremêlent. Les machines, bien que technologiques, servent les aspirations créatives des DJs, leur offrant un champ d’action entre les limites physiques du matériel et leur propre imaginaire musical et technique. Le scratch est une parfaite illustration de cette dualité, montrant comment les fonctions des machines peuvent être transcendées pour insuffler un nouvel élan créatif. Les « battles » sont perçues comme une catharsis de la quête du DJ dans sa relation avec ses instruments de composition.

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